Fred Griot
cabane d’hiver – le journal du journal
(extraits choisis)
08.09.12
Paris.
grand beau temps frais. encore.
lendemain de cuite et de fumée.
envie d’une cabane où casser du bois. marcher.
11.09.12
Paris.
petite pluie quasi continue depuis hier au soir, après la tombée de la nuit. c’est une pluie gentille, légère, fraîche, mais tenace.
je commence à prévoir mon hiver : du travail avant tout, que je vais mener dans une alternance de lieux (bords de mer, cabane sur causses, différentes villes et montagnes…). cela, sans doute, permettra d’avancer mieux, par l’isolement d’abord, et puis par le renouvellement des environnements, des airs, des rythmes, des activités qu’ils induisent.
09.01.13
Paris.
pourquoi encore écrire un livre ? parce que pas arrivé. pas près de…
retraite causses du Larzac :
dans le sac emporterai : carnets, trois manus, ordi, whisky écossais, fusains, stylos, habits de montagne, une lampe de chevet pour écrire, pas mal de livres, les « grosses » de marche, etc…
pourquoi si important pour moi ce projet d’aller m’y retirer, cette portée réelle et symbolique ? sans doute parce que, souvent, il y a eu pour tout mes livres des lieux importants pour avancer de façon décisive ou pour les finir :la plui en bord de mer dans les dunes du Cotentin, UUuU dans la vallée des Merveilles, bref sur les Causses ?
20.01 au 20.02.13
dans la cabane
20.02.13
Paris.
soleil, léger voile de nuages fins.
le prunier est là. il a de toutes petites pousses fraîches de feuilles, vertes, tendres, presque blanches. les tulipes et narcisses ont fait aussi de grandes feuilles. la mousse a envahi le gazon.
retour dans la multitude des villes.
la densité.
la subtilité et la complexité des organisations, et des schémas sociétaux. la rapidité, célérité aussi des échanges, des déplacements, de toute activité. une accélération par rapport à ma vie du Causse.
retrouver aussi quelques futilités, dans la recherche du confort et de la distraction en particulier, dès l’observation des gens dans le TGV. mais rend-il heureux ce mouvement de l’homme, de l’animal homme, vers ce désir-là ? ressent-il ensuite, une fois satisfait, à satiété, du bonheur ? où n’est-ce qu’une fuite, toujours, en avant, affrétée, armée par le désir, insatiable, insatisfiable ?
j’ai été aussi, fortement, violemment, dans ces élans-là. le suis-je encore aujourd’hui ? j’ai la sensation, peut-être fausse, mais d’avoir atteint un détachement, relatif encore, de ce type de mouvement-là, violent, frénétique, exacerbé, en partie illusoire…
boulots de retour, courriers, mails, messages, gestion… même si j’avais déjà avancé en grande part cela dans la cabane. puis violent coup de barre, revenir alors à écrire comme activité calme, de fond, lente… l’occasion aussi de penser, réfléchir un peu, essayer de chercher en soi à ressentir ce que j’ai vécu là-bas. même s’il est sans doute encore trop tôt, bien trop tôt, pour saisir ce qui a pu s’y passer, s’y jouer.
j’ai repris le rythme d’ici de façon quasi immédiate : est-ce les situations, les habitudes que l’on y a qui impriment aux lieux leur rythme, ou les lieux qui induisent eux-mêmes des rythmes ? une conjonction des deux plus sûrement, mais, en tout cas, les rythmes sont fortement attachés aux lieux, et on les retrouve de suite. et puis ce sont souvent les cadences prises dès les premières heures, les premiers jours qui perdurent ensuite, et font loi et genre.
lecture d’extraits de Walden ou la vie dans les bois de Thoreau, que je n’avais encore jamais lu.
21.02.13
Paris.
beau.
sur le Causse j’ai finalement pas mal écrit : environ 80 feuillets, mais pas complètement là où je l’attendais, puisque ce ne fut quasi exclusivement que dans le journal . cela sans compter les relectures, qui sont d’un autre ordre.
presque étonnant d’être en soi si vite passé d’un univers à l’autre, sans période de réadaptation… peut-être que, par le fait d’être seul, on a plus le loisirs, la possibilité de penser au retour, de savoir que l’on rentre dans 5, 4, 3 jours, de s’y préparer…
moins ici dans l’observation attentive de toute chose, petits faits, petits bruits… c’est que je suis ici probablement plus dans l’action, et qu’il n’y a pas ce silence de fond, qui amène à écouter autant.
qu’est-ce qui s’est passé là-bas ? je ne sais pas bien. peut-être le saurai-je mieux, plus, lorsque j’attaquerai la relecture des pages du journal de la cabane d’hiver pour le projet d’édition papier que l’on m’a proposé…
ne pas parvenir à se taire, c’est peut-être ça écrire.
collecter tout. babiller toujours. dire et nommer, maniaquement. au contraire du silence des bêtes.
22.02.13
Paris.
le voyage décante peu à peu… le rythme plus lent, plus posé pour être exact, que j’avais là-bas… ici vite emporté dans des vitesses supérieurs, pour tout faire… mais peu de temps pour moi, libre, ces jours-ci, pour regarder, penser, laisser faire cette décantation…
ceci dit, ces rythmes ce sont essentiellement ceux que l’on a en soi-même, que l’on crée, s’impose en soi-même. ce sont les rythmes d’une personnalité, sans doute bien plus qu’imposés par les faits extérieurs.
23.02.13
Paris.
gris, froid.
à ne pas faire grand chose, mais au calme.
à continuer de lire le journal de Bergounioux et c’est amusant d’y retrouver parfois des amis, mais là ce sont certains qui sont déjà passés à la maison, et qui plus est avec qui il passe du temps sur une partie des Causses que je connais particulièrement bien pour y avoir travaillé, et d’où je reviens.
qui plus est, et c’est assez étonnant, et je le découvre que maintenant, il en parle dans les exacts mêmes termes que j’ai pu utiliser : il voit, lui aussi, les Causses comme un vaste memento mori… coïncidence.
24.02.13
Paris.
quelques flocons, très rares, dispersés. certaines des feuilles des tulipes et narcisses ploient sans raison apparente.
à retravailler la partie du journal sur le Causse : cabane d’hiver, pour son édition, à part, en livre papier. relire, unifier, poser dans l’espace ainsi le texte avec, déjà, un léger recul, et ce n’est plus une écriture « à chaud » mais passer d’une écriture dans le temps de sa réalisation, qui contenait alors déjà dans le temps-même de son émergence les perspectives des lignes, des bords, du volume, de l’espace narratif d’un objet se modelant mais sans en avoir la vue générale, « détourée », à la réalisation d’un objet autonome, en soi, « détaché ».
mais je peine : je n’arrive à revoir qu’un chapitre par jour, et c’est truffé de fautes, de redites. c’est que c’était une version « work in progress » même si je m’étais attaché à relire, corriger, modifier au mieux. c’est la période du travail ingrate, laborieuse, ennuyeuse où il faut se cravacher pour se tenir à l’ouvrage.
ceci dit les redites, les répétitions sont la marque d’une réalité, et aussi celle du temps, de son tempo de base, appuyé, réitéré, lancinant.
ce qui reste 5, 6 jours après ce voyage, qui semble si loin déjà, c’est le silence. c’est l’écoute.
ce que j’étais allé chercher. ça tombe bien.
et toujours aussi curieux de voir que tout le reste s’efface si vite, la quantité des petits faits quotidiens, des petits ressentis quotidiens, déjà, perdus, alors que sur place, au moment de les vivre, ils étaient si prégnants, et constituaient même ce que l’on sent, ce qui passe dans notre chair des jours.
les objets que l’on touchait avec la peau, qui concrètement parfois nous heurtait, nous blessait, nous caressait, que notre rétine avait concrètement « sous les yeux », les situations que l’on éprouvait, disparaissent déjà dans le brouillard, dans les strates sédimentaires du cerveau, de la mémoire, constituant une nappe, vague, de la souvenance, étymologiquement qui « vient sous », une couche recouverte par les autres faits, actuels, ceux vécus, surgis dans le vivace actuel. comme disait Schrödinger, et je le répète ici, « le présent est la seule chose qui n’ait pas de fin », qui ait une constante de l’actualité. le passé lui passe, s’efface, trépasse, a traversé (c’est son étymologie). mais me reste donc cette sensation, cette expérience de l’écoute, centrale.
mais elle peut se pratiquer partout. il n’y a pas que le silence à écouter.
l’écoute c’est l’attention. une tentative, une tension, une aspiration vers une attention, pleine, ouverte, sans limite, sans dualité, sans différenciation, sans le filtre des images à priori que nous avons de tout.
de ce passé, l’écriture en garde certes une trace, mais une seule, parcellaire, choisie, sélectionnée, travaillée, et qui donc ne correspond qu’en très peu au présent de la sensation vécue. mais cela aussi sera oublié.
25.02.13
Paris.
bruine.
à faire des dossiers, et corriger cabane d’hiver.
les jours rallongent.
26.02.13
Paris.
soleil timide.
troisième journée à retravailler cabane d’hiver. et du mal à me mettre à autre chose tant que ça ne sera pas fini.
la journée passe en coup de vent. 19 h et pas eu l’impression qu’elle ait défilé, à peine à se souvenir ce que j’ai fait le matin.
27.02.13
Paris.
gris, humide, mais relativement doux.
juste cette bizarre impression de bosser toute la journée et de ne pas savoir vraiment ce que l’on a fait. peut-être est-ce dû au fait que j’ouvre des chantiers, des projets, et n’en referme aucun ?
je reçois de nombreux messages concernant mon journal, et en particulier ces dernières semaines au sujet de celui sur le Causse cabane d’hiver. il y a quelque chose qui parle donc là aux autres. je ne sais pas exactement quoi (probablement la tendance du propos à une portée générale, une universalité qui nous concerne tous), pourtant je perçois bien la teneur du ton et la nature du lieu, de la source, la « qualité » du terrain d’où vient le propos lorsqu’il fonctionne à peu près, et porte, alors même qu’il ne fait que tenter, et cherche sans certitude.
ai opéré une sélection de photos pour le livre sur le Causse, après avoir remanié, corrigé le texte. longues séances, travail pénible, une fois l’écriture faite, d’ainsi finaliser, fignoler, relire, revoir…
02.03.13
Paris.
temps gris clair.
couché à 5 h 30 du matin, levé à 9 h.
de mon séjour sur le Causse, dans la yourte, me reste le silence. l’écoute. essentiellement.
le reste disparaît peu à peu.
24.03.13
Paris.
ce que me laisse la cabane un gros mois après être rentré : une sensation d’avoir habité le temps. pour un moment. et de là en particulier la qualité de l’écoute. les autres souvenirs, ceux des faits (le froid, la neige, le seul, couper du bois, batailler, les longues marches…), restent, leur goût puissant subsiste, mais leurs présences s’estompent, ils perdent en prégnance, en importance de sens comparés au rapport au temps, à l’écoute, découverts, vécus là-bas…
25.03.13
Paris.
hâte de pouvoir publier ces livres en parole claire que je souhaite, et dont cabane d’hiver est peut-être l’un des premiers.
31.03.13
Paris.
soirée à écrire et à travailler la maquette de cabane d’hiver.
11.04.13
Paris.
à commencer à penser à ce que peut être une lecture publique de cabane d’hiver, accompagnée d’une improvisation musicale : quelque chose de calme, sobre, épurée, avec beaucoup de silence derrière les mots.
30.05.13
Paris.
toujours temps gris, pluvieux et frais. le ciel est si sombre qu’il fait presque nuit à 14 h.
il pleut, il pleut, le téléphone ne sonne pas une seule fois, je suis seul à la maison, tout est calme, tout juste au bord de l’ennui que l’on frise sans y rentrer, presque l’impression d’être dans la yourte de cet hiver, écouter la pluie tomber, dehors.
alors je fais du travail d’écrivain toute l’après-midi : relecture et affinages de la maquette de cabane d’hiver qui doit sortir en septembre, avant envoi à l’imprimeur.
ouvrir la fenêtre pour mieux écouter la pluie, mais elle se calme un peu, les oiseaux alors se remettent à chanter après l’averse.
ve 28.06.13
Paris.
je me fais un dimanche un vendredi, avant 15 jours à flux quasi continu.
mais je passe tout de même une bonne partie de l’après-midi sur les modifications presque terminales de cabane d’hiver, que nous devons remettre bientôt à l’imprimeur. livre, encore une fois, que j’ai choisi de maquetter moi-même, comme la plupart des autres, éprouvant le besoin de travailler le texte également dans cette zone, dans ce « volume », dans cette aire graphique.
sa 06.07.13
Paris.
chaud, soleil, quoique le ciel comme presque chaque jour de cette saison se charge vite en cumulus.
repos. une après-midi pour soi, seul.
je crois finir les modifications sur la maquette de cabane d’hiver.
me 10.07.13
Paris.
le beau, le chaud, l’ensoleillé toujours là.
matin : gestion, écriture.
après-midi : grimpe.
après les journées de grimpe, seul depuis plusieurs jours à la maison, je n’en finis pas de finir la maquette decabane d’hiver, je l’écris encore et même relis entièrement le texte, une énième fois, l’aère, précise encore quelques tournures, phrases, pensées…
mais ce soir j’en ai fini avec l’écriture (dont la maquette fait pour moi partie) 7 mois après être parti là-bas, sur le Causse…
comme une petite tristesse, mais j’attendais aussi cette fin pour avancer les autres projets en cours, avoir le temps, l’esprit centré, disponible pour eux.
rémanent : c’est-à-dire ce qui subsiste après disparition de sa cause.
ve 19.07.13
Paris.
chaleur qui écrase. 35 à la fenêtre. difficulté à travailler. à 17 h j’en abandonne l’idée.
cabane d’hiver est validé par la pré-presse et le photograveur. soulagé que tout soit passé, car nous jouions à la limite du contraste avec les photos.
me 07.08.13
Lyon.
levé tôt, j’ai très peu dormi. il a plu toute la nuit et ça continue au matin quasi uniformément. le ciel est gris, cendré, sombre. rompre…
je prépare mes lectures de septembre, en particulier celle de cabane d’hiver prévue à la maison de la montagne de Pau, et cela m’oblige, pour choisir les extraits judicieux, à relire une fois encore le texte. puis à se mettre le texte en bouche, chronométrer, imaginer même peut-être de casser du bois sur scène…
il pleut toujours, des cordes maintenant, un rideau d’eau à quelques centimètres de l’ordinateur, de la petite table de bois.
je 08.08.13
Lyon.
ciel très couvert, vent de nord.
lever tôt. méditation dehors, puis je nage un bon moment dans l’eau fraîche. ensuite café au bureau sur le petit balcon et je commence à travailler. il fait frisquet, et j’ai été refroidi par la baignade, j’enfile même deux vestes pour pouvoir ainsi écrire dehors.
je lis cabane d’hiver à voix haute : toujours étonnant de constater comment le timbre et le rythme de la voix d’un texte de suite s’impose, pour en varier ensuite très peu…
Ce livre, véritable vade-mecum, qui raconte un mois en forêt sous yourte, exprime totalement l’esprit du recours aux forêt qui nous est si cher depuis notre création. Etre en dehors des sentiers battus, raconter, et tout cela, du côté de Walden de Thoreau, du traité du rebelle de Jünger, mais aussi d’Arno Schmidt, de Knut Hamsun, de Kenneth White ou de Kerouac.
Fred Griot incarne ce thème, en ce début de 21ième siècle. C’est fragile. Pas facile. Cela dure juste un mois. Mais en un mois, l’auteur apprend beaucoup. La forêt — ici les causses — devient la métaphore d’une autre forêt libertaire : la pensée. Elle est une aire intermédiaire ; un lieu en suspension, en devenir ; un potentiel d’expériences.
Fred Griot est un Waldgänger, en allemand, c’est "celui qui a recours aux forêts". Ce n’est pas un anarchiste, ni un militant, ni un rebelle, ni un résistant non plus.
Fred Griot a publié en ligne sur la revue ce texte dans un work in progress grâce à une connexion internet cellulaire. Chaque semaine, il nous faisait partager tout cela. Fred devenait pour moi un hacker qui se branchait au réseau quand il voulait, pour envoyer ce qu’il voulait puis de débranchait et disparaissait.
ve 28.06.13
Lecture-concert de "cabane d’hiver"
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